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Benserade

Benserade

Isaac de Benserade
De 1613 à 1691


Le Coq sur un fumier grattait, lors qu'à ses yeux Parut un Diamant : "Hélas, dit-il, qu'en faire ? Moi qui ne suis point lapidaire, Un grain d'orge me convient mieux."

Un Loup querellait un Agneau Qui ne savait pas troubler l'eau ; À tous coups l'injuste puissance Opprime la faible innocence.

Le Rat, et la Grenouille auprès d’un marécage S’entretenaient en leur langage : Le Milan fond sur eux, Et les mange tous deux.

Le morceau dans la gueule un chien passait à nage, Et comme à travers l'onde il en eût vu l'image, Pour elle il oublia le corps qu’il laissa choir. Où ne nous réduit point l'avidité d'avoir ?

Les Animaux disaient, "Tous d’un commun accord Chassons, que les profits soient également nôtres : Mais le Lion prit tout, ne laissant rien aux autres. Voilà comme on partage avec le plus fort."

Le Cerf & la Brebis eurent une querelle, Mais parce que le Loup en était le témoin, Elle avoua la dette, & lors qu’il fut bien loin, "Quand on promet par force, on ne doit rien," dit-elle.

La Grue ayant tiré de la gorge du Loup Un os de son long bec qui le pressait beaucoup : "Il n’a tenu qu’à moi de vous manger, Commère," Lui dit le Loup ingrat, "et c’est votre salaire."

Transie, & demi-morte était une couleuvre : Un homme auprès du feu la mit dans sa maison, Qu’en suite elle infecta de son ingrat poison. "Ah, quel prix pour une bonne œuvre !"

L’Âne mauvais plaisant raillait le Sanglier, Qui d’abord en conçut un dépit effroyable : Après il en eut honte, & tâcha d’oublier Qu’il eût grincé les dents contre ce misérable.

Le Rat de ville était dans la délicatesse ; Le Rat des champs vivait dans la simplicité ; L’un avait plus de politesse, L’autre était plus en sécurité.

La Corneille escroqua la pâture de l’Aigle, L’Aigle en rit comme font les magnanimes cœurs : "Aux petits appartient la fourbe, & dans la règle Il vaut mieux que les Grands soient trompés que trompeurs."

Le Renard, du Corbeau loua tant le ramage, Et trouva que sa voix avait un son si beau, Qu’enfin il fit chanter le malheureux Corbeau, Qui de son bec ouvert laissa choir un fromage.

Contre un Lion caduc la rage se débonde Des autres Animaux qui lui furent soumis. C’est la plus grande pitié du monde D’être vieux, & d’avoir quantité d’ennemis.

Compères & voisins assez mal assortis À la tentation tous deux ils succombèrent, Car l’Aigle du Renard enleva les petits, Et le Renard mangea les Aiglons qui tombèrent.

L’Âne flatta son Maître, & crut qu’il ferait bien S’il pouvait imiter les caresses du chien ; Il lui mit lourdement ses pieds sur chaque épaule : La riposte fut prompte, & faite à coups de gaule.

Un Lion prend un Rat, & ne lui fait point mal, En des filets tendus ce Lion s’embarrasse, Ces filets sont rongés par le faible Animal ; Et le grand du petit reçoit la même grâce.

L’Hirondelle aux Oiseaux qui voulaient l’entendre Dit : "Tâchez d’empêcher la semelle du Lin, Elle vous est nuisible, & le projet malin D’en faire quelque jour des filets pour vous prendre."

Le Renard voulut faire à la Grue un festin, Le dîné fut servi sur une plate assiette, Il mangea tout, chez lui comme ailleurs le plus fin, Elle, de son long bec, attrapa quelque miette.

Le Renard chez la Grue alla pareillement, Un vase étroit, & long fut mis sur nappe blanche, De la langue le bec se vengea pleinement. Est-il pas naturel de prendre sa revanche ?

Une poutre pour Roi faisait peu de besogne, Les Grenouilles tout haut en murmuraient déjà, Jupiter à la place y mit une Cigogne. Ce fut encore pis, car elle les mangea.

Un Loup non sans merveille entra chez un Sculpteur, Il n’y va pas souvent une pareille bête ; Voyant une statue, il dit, La belle Tête ! Mais pour de la cervelle au dedans, serviteur.

Le Chien dit au Larron qui le voulait surprendre Par l’appât d’un morceau de pain : Il n’est pas question de profit, ni de gain, Et tu viens moins ici pour donner que pour prendre.

Les Colombes en guerre avec le Milan Veulent que l’Épervier à leur tête demeure : Mais leur condition n’en devient pas meilleure, Ayant un Adversaire, et de plus un Tyran.

À la Truie en travail le Loup disait, Madame, Si vous voulez, je puis vous soulager beaucoup : Elle qui reconnut l’intention du Loup, Peste soit de la Sage-femme.

N’Êtes-vous pas injuste autant qu’on le puisse être ? Vous m’aimiez autrefois, et vous m’estropiez, Parce que je n’ai plus ni de dents, ni de pieds : Voilà ce qu’un vieux chien reprochait à son Maître.

Le vent faisait du bruit dans une forêt noire ; Les Lièvres eurent peur nul ne les poursuivant : Je crois, dit l’un d’entre eux, que ce n’est que le vent, Mais nous aurons toujours de la peine à le croire.

Ouvre à ta mère, ingrat, peux-tu la méconnaître ? Dit le Loup au Chevreau, se contraignant beaucoup : À la voix, répond-il, vous pourriez fort bien l’être, Mais par la fente on voit que vous êtes le Loup.

Le Mâtin ajourna la Brebis, ils plaidèrent, Malgré sa bonne cause elle eut tort néanmoins : Le Vautour et le Loup contre elle déposèrent, Quelle partie, et quels témoins !

La cognée à la main, et d’une âme indignée L’Homme suit le Reptile, après il s’en repent, L’invite à revenir : Ma foi, dit le Serpent, Je ne me fie à vous non plus qu’à la cognée,

Oses-tu bien cacher tes plumes sous les nôtres ? Dirent les Paons au Geai rempli d’ambition : Qui s’élève au-dessus de sa condition Se trouve bien souvent plus bas que tous les autres.

Un Chariot tiré par six chevaux fougueux Roulait sur un chemin aride, et sablonneux : Une Mouche était là présomptueuse, et fière, Qui dit en bourdonnant, Que je fais de poussière !

La Mouche qui n’est pas orgueilleuse à demi Disait par vanité, Je suis noble, légère, Et j’ai des traits piquants. Pour moi, dit la Fourmi, Je ne suis simplement que bonne ménagère.

Le Singe fut fait Roi des autres Animaux, Parce que devant eux il faisait mille sauts : Il donna dans le piège ainsi qu’une autre Bête, Et le Renard lui dit, Sire, il faut de la tête.

La Grenouille superbe en vain tâche à s’enfler Pour atteindre le Bœuf, elle n’y peut aller, Mais en simple Grenouille au Marais élevée N’est que dans son espèce une grosse crevée.

Guerre entre les Oiseaux sanglante, et meurtrière, Dont pas un ne voulut avoir le démenti, Mais la Chauve-Souris trahissant son parti, N’osa jamais depuis regarder la lumière.

La Colombe est en proie à l’Épervier subtil Qui dans les mains d’un homme après lui-même tombe : Hé que vous ai-je fait ? Pardonnez-moi, dit-il ; Hé que vous avait fait, dit l’autre, la Colombe ?

Le Loup se voit trahi du Renard son Compère, Qui mène le Berger jusques dans son repaire ; Et comme à ce massacre il a contribué, Il hérite du Loup, et puis il est tué.

Une suspension d’armes se fit jadis Entre les Loups et les Brebis : Bientôt parmi les Loups grand tumulte s’élève, Comme si les Brebis avaient rompu la trêve.

La Forêt parut indignée Contre le Bûcheron qui son bois désolait, N’en ayant demandé qu’autant qu’il en fallait Pour faire un manche à sa cognée.

Les plaisirs coûtent cher, et qui les a tout purs ! De gros raisins pendaient, ils étaient beaux à peindre, Et le Renard n’y pouvant pas atteindre, Ils ne sont pas, dit-il, encore mûrs.

Que tu me parais beau, dit le Loup au Limier, Net, poli, gras, heureux, et sans inquiétude ! Mais qui te peine ainsi par le cou ? Mon collier. Ton collier ? Fi des biens avec la servitude.

Contre le Ventre un jour les membres disputèrent : En son pressant besoin nul ne le secourut ; Tous las de le servir enfin se révoltèrent, Et tel à qui ce ventre appartenait, mourut.

Donne-moi, dit le Singe en parlant au Renard, La moitié de ta queue : Il irait trop du nôtre, Dit-il, et j’aurais tort si je t’en faisais part ; Ce qui convient à l'un ne convient pas à l'autre.

L’Âne vit le cheval traîner une charrue Que naguère il voyait si pompeux et si fier Sous un riche harnais éclater dans la rue : Des vanités du monde il faut se défier.

Le Cerf dans un ruisseau se mirant autrefois Trouvait sa jambe laide, et son bois admirable : Mais comme les Chasseurs pressaient ce misérable, Il fit cas de sa jambe, et méprisa son bois.

Le Serpent rongeait la lime : Elle disait cependant, Quelle fureur vous anime Vous qui passez pour prudent ?

Un Renard efflanqué voit du Blé dans un clos, S’y glisse par un trou menu, léger, agile : Quand ce vint pour sortir, il se trouva trop gros ; La Belette lui dit, Seigneur, devenez maigre,

Le Paon dit à Junon, Par ton divin pouvoir, Comme le Rossignol que n’ai-je la voix belle ? N’es-tu pas des Oiseaux le plus beau, lui dit-elle ? Crois-tu que dans le monde on puisse tout avoir ?

Un pauvre Loup était à la miséricorde D’un homme à qui quelqu’un des Chasseurs demandait, L’as-tu vu ? Non, dit-il, et le montra du doigt. Voilà comme la bouche avec le cœur s’accorde.

Le Merle à l’Oiseleur qui tendait ses filets, Demande, Que fais-tu ? Je bâtis une Ville. L’Oiseau s’y prend, et dit : Ha, que je m’y déplais ! Et pour des Habitants le fâcheux domicile !

Tous deux au fond d’un Puits taciturnes et mornes, De s’assister l’un l’autre avaient pris le parti : Pour sortir le Renard se haussant sur ses cornes, Fit les cornes au Bouc après qu’il fut sorti.

Le Cheval est vaincu par le Cerf, et soudain L’Homme qu’imprudemment à son aide il appelle, Lui met, pour le venger, et la selle et le frein ; Il eut toujours depuis et le frein, et la selle,

Le Coq craint du Lion et l’Âne étaient ensemble, Du Lion qui passait l’Âne soutint le choc, Le voilà du Lion le vainqueur, ce lui semble, Le Lion le mangea dès qu’il fut loin du Coq.

Le Milan une fois voulut payer sa fête, Tous les petits Oiseaux par lui furent priés, Et comme à bien dîner l’assistance était prête, Il ne fit qu’un repas de tous les conviés.

Près du Lion mal sain les Animaux se tiennent Tous hormis le Renard : Pour moi je n’y vais pas, De ceux qui s’en vont là, dit-il, je vois les pas, Et ne vois point les pas de ceux qui s’en reviennent.

L’Âne était fort malade, et les Loups en cervelle S’adressent à son fils : Hé bien, quelle nouvelle ? S’en va-t-il point mourir, ou n’est-il point mort ? Non, Vous ne le tenez pas encore, dit l’Ânon.

Un Chat faisait le mort, et prit beaucoup de Rats, Puis il s’enfarina pour déguiser sa mine : Quand même tu serais le sac à la farine, Dit un des plus rusés, je n’approcherais pas.

Le Chevreau chanta pouille au Loup par la fenêtre : Quoi vous savez déjà, dit le Loup, comme il faut Prendre son avantage ? Ha, mon mignon, peut-être Parleriez-vous plus bas si vous étiez moins haut.

L’Homme aux yeux du Lion expose la Statue D’un homme qui terrasse un Lion, et le tue ; Et comme il s’en prévaut, le Lion dit : Chez vous Sont Peintres et Sculpteurs, il n’en est point chez nous.

Pardon, disait la Puce : un petit animal Tel que moi ne saurait faire qu’un petit mal. Vaine excuse, dit l’Homme, inutile défense ! À personne il ne faut faire la moindre offense.

La Perdrix bien battue eut un dépit extrême Que les Coqs peu galants la traitassent ainsi : Depuis voyant qu'entre eux ils en usaient de même, Patience, dit-elle, ils se battent aussi.

On connaît les amis dans les occasions ; Chère Fourmi, d’un grain soyez-moi libérale, J’ai chanté tout l’été : Tant pis pour vous, Cigale, Et moi j’ai tout l’été fait mes provisions.

La Corneille une fois dans la laine empêtrée, Voltigeait sur le dos de la Brebis outrée, Qui lui dit : Tu n’en veux qu’à moi parmi nos champs, Toujours méchante aux bons, toujours bonne aux méchants.

Pluralité de Têtes importune. Un Serpent en eut sept, un autre n’en eut qu’une ; Il passa : le premier eut de grands embarras. Un Chef est absolu, plusieurs ne le sont pas.

Un arbre reprochait au Roseau sa faiblesse : Il vient un prompt orage, un vent souffle sans cesse ; L’Arbre tombe plutôt que de s’humilier, Et le Roseau subsiste à force de plier.

L’Âne disait au Loup, Je suis estropié D’une épine, et voyez de quel air je chemine : Comme à l’Âne le Loup voulait tirer l’épine, L’Âne au milieu du front lui tire un coup de pied.

Le Lièvre et la Tortue allaient pour leur profit : Qui croirait que le Lièvre eût demeuré derrière Cependant je ne sais comment cela se fit, Mais enfin la Tortue arriva la première.

Un jour au Porc-Épic disait le Loup subtil : Croyez-moi, quittez-là ces piquants, ils vous rendent Désagréable et laid : Dieu m’en garde, dit-il, S’ils ne me parent pas, au moins ils me défendent.

Le Renard pris au piège était mélancolique : Hélas, dit-il au Coq, daignez me soulager ! J’ai souvent mis le deuil dans votre domestique, Mais qu’il serait honnête à vous de m’obliger.

Le Renard se vantait d’être subtil et fin ; Le Chat tout au contraire allait son grand chemin : Les Chiens viennent, le Chat dessus un arbre monte, Et le Renard s’écrie, Ha, j’en ai pour mon compte !

Du Coq-d’Inde le Coq fut jaloux, et crut bien Qu’il était son Rival, mais il n’en était rien ; Car il faisait la roue, libre, et sans affaire, Pour avoir seulement le plaisir de la faire.

Le Serpent trop civil par une grâce extrême Reçoit le Hérisson, après il s’en repent : Sortez d’ici, dit le Serpent ; L’autre, comme un ingrat, Sortez d’ici vous-même.

Le Loup dit au Renard, Comment se peut-il faire Que tu sois dans ce Puits ? C’est une longue affaire, Dit l’autre, à m’en tirer fais d’utiles efforts, Je te conterai tout quand je serai dehors.

Un Bœuf affamé, las, et venu d’assez loin, Ami, tu me parais d’une humeur bien étrange, Dit-il au Chien grondant dessus un tas de foin, Ni tu n’en veux manger, ni ne veux que j’en mange.

Les Oiseaux en plein jour voyant le Duc paraître, Sur lui fondirent tous à son hideux aspect. Quelque parfait qu’on puisse être. Qui n’a pas son coup de bec ?

Deux Mâtins se battaient, le Loup en sentinelle. Voulant prendre son temps, les fit se rallier. Un nouveau différend ne fait pas oublier Une vieille querelle.

L’Aigle par une adresse extrême Dans les airs enlève un Mouton : Le Corbeau veut faire de même, On le tue à coups de bâton.

Le Chat veut sur le Coq passer sa grosse faim, Et cherchant un prétexte honnête pour le faire, Ah, dit-il, il mourra l’incestueux vilain, Qui couche avec ses Sœurs, et couche avec sa Mère !

La Poule du Milan connaissant les desseins, Sans songer qu’elle-même en était poursuivie, Dans une cage enferma ses Poussins, Et les mit en prison pour leur sauver la vie.

Le Perroquet eut beau par son caquet Imiter l’Homme, il fut un Perroquet ; Et s’habillant en Homme, sous le linge Le Singe aussi ne passa que pour Singe.

Le Renard en procès vint le Loup attaquer, Le Singe comme Juge écouta leurs requêtes, Après il dit, Je ne saurais manquer En condamnant deux si méchantes bêtes.

Du Renard poursuivi la patte se déchire Contre un Buisson qui dit en s’éclatant de rire, Ta coutume est de prendre, Ami, pour ton repos Tu t’es ici venu prendre mal à propos.

Quelqu’un las de prier un de ces Dieux frivoles, Lui fend la tête en deux, il en sort des pistoles. Quel caprice, dit-il ? je n’en ai pas tant eu Quand je l’ai respecté, que quand je l’ai battu.

Un Pêcheur en pêchant s’adonnait aux chansons, Puis jetant son filet, Ces bizarres Poissons De ma Flûte, dit-il, nullement ne s’émeuvent, Et sitôt qu’ils sont pris ils dansent tant qu’ils peuvent.

Le Paon est élu Roi comme un fort bel Oiseau, La Pie en murmure, et s’irrite Qu’on ait peu d’égard au mérite : Est-il sûr qu’on soit bon parce que l’on est beau ?

À de méchants Oiseaux le Laboureur subtil Trouva dans ses filets une Cigogne unie, Qui lui criant merci, Tu mourras, lui dit-il, Il ne faut pas hanter mauvaise compagnie.

Un Berger ennemi de la mélancolie À faux, et sans sujet criait au Loup toujours, À la fin son Troupeau pâtit de sa folie, Quand ce fut tout de bon nul ne vint au secours.

La Colombe sauva la vie à la Fourmi, Qui mordant par le pied l’Oiseleur ennemi, Sauva pareillement la vie à la Colombe. Jamais l’ingratitude en un bon cœur ne tombe.

Un Enfant s’adonna de bonne heure au larcin, Et commença de prendre au sein de sa Nourrice. Depuis il acheva dessus le grand chemin : Belle gradation du vice !

Je voulais être saoule, et voulais avoir chaud, Dit la Mouche, et j’en ai par-delà mon envie, Je meurs dans la Marmite : hélas, en cette vie L’on a trop peu toujours, ou trop de ce qu’il faut !

Mercure au Charpentier qui perdit sa cognée En offrit d’or, d’argent, ou de fer à son choix : Il s’en tint à la sienne, et les eut toutes trois. Probité reconnue ainsi que témoignée !

Un Homme à cheveux gris était des plus galants, Deux Femmes le peignant sans en faire scrupule, La vieille ôtait les noirs, la jeune ôtait les blancs : Il devint si pelé qu’il en fut ridicule.

Un Père à ses Enfants qui s’entremangeaient tous Disait, Vous périrez avec votre divorce : Ces verges brin à brin n’ont pas beaucoup de force, Rien n’est plus ferme en gros ; ainsi sera de vous.

Mon Fils, si vous pleurez, le Loup vous mangera, Dit la Nourrice : il vint dès que l’Enfant pleura, Mais elle n’était pas si folle Que de lui tenir sa parole.

Une Tortue était fière au dernier degré, Et ramper lui semblait le plus grand des désastres : Dans les serres de l’Aigle elle se sut bon gré De se voir une fois au moins si près des Astres.

L'Écrevisse disait à sa fille rétive Il ne faut pas ainsi marcher à reculons : Elle lui repartit, Hé bien, ma Mère, allons, Montrez-moi le chemin qu’il vous plaît que je suive.

De la peau du Lion une fois l’Âne s’arme, À tous les animaux donne une chaude alarme ; Et son Maître lui dit le connaissant au ton, Vous faites le vaillant ? que de coups de bâton !

Parmi les Animaux une Grenouille avide Trancha de l’Hippocrate, et trompa le plus fin : À voir sa bouche pâle, à voir son teint livide, Je crois, dit le Renard, que c’est un Médecin.

Quelqu’un fit mettre au cou de son Chien qui mordait Un bâton en travers ; lui se persuadait Qu’on l’en estimait plus, quand un Chien vieux et grave Lui dit, On mord en traître aussi souvent qu’en brave.

Le Chameau veut avoir des cornes sur le front, Et Jupiter lui dit, Qu’en avez-vous affaire ? Il est vrai, les Taureaux pour leur défense en ont, D’autres en ont aussi qui n’en savent que faire.

Deux Amis voyageaient et rencontrèrent un Ours ; L’un gagne un arbre haut, l’autre tout plat se couche ; Ainsi, sans les blesser, va l’Animal farouche : On se sauve souvent par différents détours.

Le Pot de fer nageait auprès du Pot de terre, L’un en Vaisseau Marchand, l’autre en Vaisseau de Guerre, L’un n’appréhendait rien, l’autre avait de l’effroi, Et tous deux savaient bien pourquoi.

Le Chat étant des Rats l’adversaire implacable, Pour s’en donner de garde un d’entre eux proposa De lui mettre un grelot au cou ; nul ne l’osa. De quoi sert un conseil qui n’est point praticable ?

Le Bouc s’oppose en lâche au Taureau malheureux, Qui voulait du Lion éviter la poursuite. Il arrive souvent que ceux qui sont en fuite, Ne sont pas bien reçus des cœurs peu généreux.

De tous les Animaux Jupiter vit la Race Le Singe y vint qui fit une laide grimace, Et parmi tant d’enfants de Bêtes, et d’Oiseaux Ne trouva que les siens de beaux.

Le Paon soupait avec la Grue, Et comme il se vantait pendant tout le repas, Elle lui répondit sans en paraître émue, Vous le portez bien haut, mais vous volez bien bas.

Le Tigre allant tout seul à la chasse autrefois Reçut un coup de flèche, et la chasse finie Le Renard humble et doux lui dit en fin matois, Il aurait mieux valu chasser en compagnie.

Contre quatre Taureaux unis et préparés Les forces du Lion ayant été frivoles, Il les sépara tous par de belles paroles, Et les déchira tous les ayant séparés.

Du Singe ici l’adresse éclate, Mais celle du Chat paraît peu, Quand il donne à l’autre sa patte Pour tirer les marrons du feu.

Le Buisson se fâcha de l’orgueil du Sapin, Et son humilité s’en étant indignée, Plus bas que moi, dit-il, je te puis voir enfin, Si le Bûcheron vient avec sa cognée.

Un Pêcheur sentit bien en retirant sa Ligne Qu’elle ne pesait guère, et c’était mauvais signe, Un si petit Poisson ne lui fit pas grand bien : Mais il vaut mieux avoir peu de chose que rien.

L’Aigle prit le Lapin, l’Escarbot son compère Intercéda pour lui touché de sa misère, L’Aigle ne laissa pas pourtant de le manger, L’autre cassa ses œufs afin de s’en venger.

Ô Malheur, dit quelqu’un ! ma cruche était d’or mat, Elle est au fond du Puits : un Larron se dépoille, Y descend ; et tandis qu’il fouille, et qu’il refouille, L’autre prend ses habits, et laisse...

Le Lion qui voyait la Chèvre au haut d’un Mont, Lui criait d’un air doux comme les Amants font, Descendez, et venez paître ici l’herbe molle, Elle n’y voulut pas venir sur sa parole.

La Corneille avait soif, jusqu’au fond d’un vaisseau Son bec n’atteignant pas, soudain elle s’écrie, Mettons-y des cailloux pour faire monter l’eau : Tant la nécessité réveille l’industrie.

Le Rat mordit au pied le Taureau qui fut tendre, En si grande colère il ne s’était point mis : Cependant sa fureur ne sut à qui s’en prendre. Dans le monde il n’est point de petits Ennemis.

À la vieille Souris disait la jeune fille, Je hais le petit Coq, j’aime le petit Chat : Le Chat, répond sa Mère ? Ha, c’est un scélérat ! Mais le Coq n’a point fait de mal à ta famille.

Un Laboureur pourvu d’un Taureau fort méchant S’avisa de scier ses cornes sur le champ ; Bien loin que ses fureurs en soient pacifiées, Il en fut plus méchant quand on les eut sciées.

Un Homme aimait sa Chatte, et de crainte du blâme Venus à sa prière en composa sa femme, Elle friande, et vive, oubliant le Mari, Courut à la Souris.

Un Homme avait une Oie, et c’était son trésor, Car elle lui pondait tous les jours un œuf d’or : La croyant pleine d’œufs, le fou s’impatiente, La tue, et d’un seul coup perd le fonds, et la rente.

Le Léopard tenait au Renard ce langage, Lequel à votre avis est le plus beau de nous ? De la beauté sur moi vous avez l'avantage, Mais, lui dit le Renard, j'ai plus d'esprit que vous.

Un de ces Médecins qui font tant de visites Au malade gisant disait toujours, Tant mieux ; Et le malade fait à ce style ennuyeux Disait, Mes héritiers pensent comme vous dites.

Le Charbonnier pressait le Foulon à toute heure De venir avec lui partager sa demeure, Car ils étaient tous deux amis, et grands cousins Mais, lui dit le Foulon, tu noircis tes voisins.

Le Buisson ruiné de bien et de crédit Semble se prendre à tout des pertes qu’il a faites, Le Plongeon dans la Mer cherche ce qu’il perdit, Et la Chauve-Souris se cache pour ses dettes.

Deux Hommes disputaient pour un Âne perdu, À se l’approprier, et l’un et l’autre butte : Il m’appartient dit l’un, l’autre dit, Il m’est dû L’Âne en se dérobant emporta la dispute.

Sous la patte d’un Loup plutôt friand qu’avide, Un Chien dit, Attendez, je suis maigre, et suis vide, Je m’en vais à la noce, et j’en reviendrai gras ; Le Loup y consentit, le Chien ne revint pas.

Embrassant ses petits le Singe s’en défait Par une tendresse maudite. À force d’applaudir soi-même à ce qu’on fait L’on en étouffe le mérite.

Un Meurtrier fuyant son Juge, et son Bourreau Évite cent périls, nul Prévôt ne l’attrape : À la fin il se noie en passant un ruisseau ; Tant il est malaisé qu’un Meurtrier échappe.

Deux Bœufs patients, et doux Tiraient un chariot fort pesant, et fort large ; L’Essieu criait, les Bœufs lui dirent, Qu’avez-vous ? À peine soufflons-nous nous qui traînons la charge.

Le Renard dit au Coq, Une paix éternelle Est conclue entre nous, descends : Oui, deux Lévriers Viennent, répond le Coq, m’en dire la nouvelle ; Le Renard n’osa pas attendre les Courriers.

Toutes les Fleurs disaient à la Rose nouvelle, Vous l'emportez sur nous par un commun aveu : Il est vrai, répartit la Rose, je suis belle, Mais hélas que je dure peu !

La Grue interrogeait le Cygne, dont le chant Bien plus qu'à l'ordinaire était doux et touchant : Quelle bonne nouvelle avez-vous donc reçue ? C'est que je vais mourir, dit le Cygne à la Grue.

Ce Barbet en veut à ces Cannes, Mais par elles il est instruit, Qu'il est parfois des vœux aussi vains que profanes, Et qu'on ne force pas toujours ce qu'on poursuit.

Un Galant était chauve, et comme en pleine fête Sa perruque en tombant l'allait défigurer, Pourquoi ces faux cheveux tiendraient-ils à ma tête, Dit-il, puisqu'à leur tête ils n'ont su demeurer ?

Sous un Platane en été deux Voyageurs bien las, À qui pour leur repos la place semblait bonne, Trouvaient l'Arbre stérile ; et l'Arbre dit, Ingrats, Ne comptez-vous pour rien l'ombre que je vous donne ?

Le Rossignol surpris par l’Épervier agile Criait, Cherchez ailleurs de quoi faire un repas : Mais, lui dit l’Épervier, je serais malhabile De quitter ce que j'ai pour ce que je n'ai pas.

C'était pour le Renard une horrible entrevue Que celle qui de lui se fit, et du Lion : Le Renard humble et doux l'aborde, le salue, Et l'affaire se tourne en conversation.

Un Homme étant malade, et ne possédant rien, Fait vœu d'offrir cent Bœufs en cas qu'il en guérisse : Sa Femme dit, Comment fournir au sacrifice ? Ma Femme, à cela près, dit-il, portons-nous bien.

Le Crocodile noble, et d'une humeur hautaine, Vantait de sa maison les titres anciens : Pour moi, dit le Renard, j'ai beaucoup plus de peine À savoir où j'irai, qu'à savoir d'où je viens.

Le filet pesait fort, chaque Pêcheur tirait. Mais ce poids ne venait que d'une grosse pierre, Et de peu de poissons que ce filet resserre. En ce monde on n'a pas tout ce que l'on voudrait.

D'un Marais desséché les tristes habitantes Voulant choisir un Puits, une des plus prudentes Qui pour leur sécurité trouvait ce lieu suspect Dit, Que deviendrons-nous si le Puits devient sec ?

Dans un même vaisseau prêt à faire naufrage Deux ennemis étaient sur le point de mourir, Et chacun se disait en soi-même, Courage, Je m’en vais me noyer, mais l’autre va périr.

Tandis que contre un Ours un grand Lion se bat, Un Renard se saisit du prix de leur combat, Nous n’avons bien souvent d'intérêt que le nôtre, Et nous nous tourmentons pour le profit d’un autre.

Un jour une personne aux Astres bien instruite Regardait vers le Ciel, & tomba lourdement. Tel donne des leçons sur la bonne conduite Qui s’égare lui-même, & bronche à tout moment.

La Taupe faisant vanité De voir clair, sa mère l’écoute, Qui lui répond, En vérité, Ma fille, vous ne voyez goutte.

C’est dommage d’un tel, mais je me persuade Qu’il ne pouvait guérir, tant il était mal sain : Voilà ce qu’à peu près un fort bon Médecin Disait au Fossoyeur enterrant son malade.

Un Dauphin poursuivait un Thon, quand sur les bords Ils sont jetés tous deux froissés, & demi-morts : Nous voilà, dit le Thon, assez mal ce me semble ; Mais quel plaisir pour moi, que nous...

L'Oiseleur se trouva surpris Étant piqué de la vipère, Hélas, dit-il, quelle misère ! Je voulais prendre, & je suis pris.

Un Âne malheureux autant qu’on le peut être Servit un Convoyeur qui fut son dernier Maître, Et sous la cruauté de ce Tyran nouveau Eut lieu plus que jamais de craindre pour sa peau.

Au bruit d’une Grenouille un Lion qui repose, Se lève, & se reproche à soi-même ayant vu Que c’était si peu de chose, La honte de s’en être ému.

Un Homme passe et les nuits et les jours À teindre un Maure, il y perd sa teinture. Ce que une fois nous sommes par Nature L'Art n’y fait rien, nous le sommes toujours.

Un Marchand échappé d’un naufrage funeste Voyait la Mer tranquille, et disait, Flots ingrats Vous voudriez encore avoir ce qui me reste, Mais je ne me rembarque pas.

Deux Coqs étant rivaux se battaient de bon cœur, L’Aigle vint tout à coup fondre sur le vainqueur Qui faisait trop de bruit à cause de sa gloire, Et laissa le vaincu jouir de la victoire.

Le Castor malheureux qui n’avait point d’appui, Et que tant de Chasseurs pressaient à toute outrance, Retrancha de son corps, et s’ôta par prudence La raison pour laquelle ils couraient après lui.

Un Berger nourrissait son Chien de brebis mortes, Et comme la plus grasse approchait du trépas, De l’air, dit-il au Chien, dont tu te déconfortes, Tu craindrais volontiers qu’elle ne mourût pas.

L'avare avec son cœur enterra son trésor : On le vole ; Ha, dit-il, je suis à la besace ! Mettez, répond quelqu’un, une pierre à la place, Elle vous servira tout autant que votre or.

Le Fan du Cerf son père exaltait les mérites, Qu’il était grand, et fort, mieux armé que le Chien : Mon fils, je suis d’accord de tout ce que tu dis, Mais du côté du cœur cela ne va pas bien.

Pourquoi, dit le Renard au Sanglier, sans cesse T’aiguises-tu les dents, lors que rien ne te presse ? Attendrai-je, dit l’autre, à me les aiguiser Quand il sera temps d’en user ?

Un pauvre Savetier qui n’était qu’une bête Devint Médecin riche, et des plus enviés, Et tel imprudemment lui confia sa tête Qui n’aurait pas voulu lui confier ses pieds.

Saisis d’une frayeur qui leur causait la fièvre, Les Lièvres se jetant dans une mare tous Aux Grenouilles font peur : Courage, dit un Lièvre, Il est des Animaux plus timides que nous.

Un Trompette sonnant la charge en un combat Fut pris. "Pardon, dit-il, je ne suis point soldat, Et je n’ai de ma main tué pas un des vôtres : Non, mais c’est toi qui fais s’entretuer les autres."

Un Laboureur pressé d’une faim continue Mangea jusqu’aux Bœufs qui traînaient sa charrue, Et ses Chiens dirent, "Sauvons-nous, Sinon il nous mangera tous."

Le Lion, le Renard, & l’Âne d’une bande Chassaient, l’Âne des parts s’appliqua la plus grande, Il périt ; le Renard sage aux dépens d’autrui Donna tout au Lion, ne gardant rien pour lui.

Du Coq une Servante abrégea le destin, Croyant qu'elle pourrait s’en lever moins matin. Ce fut encore pis, car après cette perte Sa Maîtresse inquiète en fut bien plus alerte.

L'Âne qui se croyait malheureux sur la terre, Du Cheval envia la noblesse, & les dons : Mais quand il s’aperçut qu’il allait à la guerre, Il dit, "Fi de la gloire, & vivent les chardons."

Le Renard écourté ne se pouvait tenir De dire qu’une queue était fort incommode, Alléguant qu’il fallait faire venir la mode De n’avoir plus jamais de queue à l’avenir.

Une Vache raillait avec peu de justice Un Bœuf qu’à la charrue elle voyait tirer : Mais comme on la menait un jour au Sacrifice, "Adieu, lui dit le Bœuf, je m’en vais labourer."

Un Chien en trouve un autre, & lui dit, "Où vas-tu ? À la noce, viens-y, tu ne saurais mieux faire :" Il y fut, mais hélas ! il en revint battu, Pestant contre la bonne chère.

Un Vigneron mourant dit qu’un trésor insigne Était pour ses enfants dans le fond de sa Vigne À force d’y fouiller, sans y trouver de l’or, Il en vint des raisins, & ce fut le trésor.

Un Homme au bord d’un Puits se trouvant endormi, La Fortune l’éveille, & lui dit, "Mon Ami, Tu n’aurais pas manqué d’accuser la Fortune, Si tu étais tombé, c’est la plainte commune."

Une Mule étant grasse, et faisant bonne chère, Se vantait qu’elle était la fille d’un Cheval ; Mais quand elle fut maigre, et qu’on la traita mal, Elle eut quelque soupçon qu’un Âne était son père.

Un Fourbe prédisait au milieu d’une Place : Quelqu’un vint qui lui dit, "Vous pénétrez fort bien L’avenir, et savez fort mal ce qui se passe, Les Voleurs sont chez vous qui ne vous laissent rien."

L'Hirondelle amenait le beau temps avec elle ; Un jeune débauché la voyant arriver, Vendit le seul habit qu’il avait pour l’hiver : Le froid vint, il périt avec l’Hirondelle.

De sa Femme en travail l’Époux entend les cris, Et la voyant par terre en sa douleur cruelle Veut qu’on la mette au lit : "Espérez-vous," dit-elle, "Que le mal que je sens finisse où je l’ai pris ?"